Bulletin de théologie morale (107/3-2019)

par Alain THOMASSET, Philippe BORDEYNE, Catherine FINO

octobre-décembre 2019 - tome 107/4

Diminuer la taille Augmenter la taille

Bulletin de théologie morale

thomasset alain.-extérieurpar Alain Thomasset, sj,
Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

bordeyne-philippePhilippe Bordeyne,
Theologicum – Institut catholique de Paris

 

fino-catherineCatherine Fino,
Theologicum – Institut catholique de Paris

I. De la méthode en théologie morale (1-6)
II. Contributions philosophiques à la théologie morale (7-10)
III. Éthiques des vertus avec saint Thomas (11-14)
IV. Penser les défis du lien social (15-17)

Notre bulletin de théologie morale continue de se centrer sur les ouvrages de théologie morale fondamentale sans pouvoir rendre compte, sauf exception, des multiples travaux dans les domaines des éthiques plus spécialisées. Il cherche donc à examiner cette discipline tant dans son travail de fond concernant sa méthode (et son rapport aux Écritures, à la Révélation, à la philosophie, aux sciences humaines et de manière générale aux autres disciplines), que dans la créativité qui se manifeste dans la rencontre avec les thématiques nouvelles issues de l’expérience, de l’actualité sociale et de la réflexion contemporaine. Quatre parties composent ce bulletin. Comme dans les livraisons précédentes, nous présentons en premier lieu les ouvrages qui exposent une réflexion sur la méthode et les tâches de la théologie morale actuelle (I). Une deuxième partie rassemble les ouvrages qui traitent des contributions de la philosophie à la théologie morale (II). La troisième partie est consacrée à la littérature en plein développement sur les éthiques des vertus, en l’espèce à l’école de Saint Thomas (III), quant à la dernière partie, elle examine ce qu’il en est de la réflexion fondamentale sur les défis actuels du lien social (IV).

I. De la méthode en théologie morale

1. Chiodi Maurizio, Teologia morale fondamentale, « Nuovo corso de teologia morale » 1, Queriniana, Brescia, 2014, 570 p.
2. Carlotti Paolo, Teologia della morale cristiana, « Manuali », EDB, Bologna, 2016, 340 p.
3. Selling Joseph A., Reframing Catholic Theological Ethics, « Paperback », OUP, Oxford, 2016, 2018, 254 p.
4. Abram Anna (Éd.), The Future of Catholic Theological Ethics, MDPI Books, mars 2018, 94 p. (édition imprimée du numéro spécial de la revue en ligne Religions, 2018).
5. O’Donovan Oliver, Entering into Rest. Ethics as Theology, vol. 3, Eerdmans, Grand Rapids, 2017, 236 p.
6. Chan Yiu Sing Lúcás, Keenan James F., Kochuthara Shaji George (Éds), Doing Asian Theological Ethics in a Cross-Cultural an Interreligious Context, Dharmaram, Bengalore, 2016, 372 p.

II. Contributions philosophiques à la théologie morale

7. Kim Andrew, An Introduction to Catholic Ethics since Vatican II, CUP, New York, 2015, 215 p.
8. Coulange Pierre, Lefebvre Jean-François, Linning Waltraud (dir.), La loi naturelle, lieu de rencontre ou pierre d’achoppement ?, Parole et silence, Paris, 2018, 218 p.
9. Vidalin Antoine, L’éthique de la vie, DDB, Paris, 2017, 180 p.
10. Pelluchon Corine, Éthique de la considération, « L’ordre philosophique », Seuil, Paris, 2018, 281 p.

III. Éthiques des vertus avec saint Thomas

11. Mattison III William C., The Sermon on the Mount and Moral Theology. A Virtue Perspective, CUP, New York, 2017, 279 p.
12. Gueullette Jean-Marie, Pas de vertu sans plaisir. La vie morale avec saint Thomas d’Aquin, Éd. du Cerf, Paris, 2016, 218 p.
13. Austin Nicholas, sj, Aquinas on Virtue. A causal reading, GUP, Washington, 2017, 232 p.
14. Porter Jean, Justice as a Virtue. A Thomistic Perspective, Eerdmans, Grand Rapids, 2016, 286 p.

IV. Penser les défis du lien social

15. Hollenbach David, Bien commun et éthique chrétienne, préf. de G. Giraud, Éds. Facultés Jésuites de Paris, 2017, 288 p.
16. Thiel Marie-Jo (dir.), Souhaitable vulnérabilité ?, « Chemins d’éthique », PUS, Strasbourg, 2016, 108 p.
17. Thiel Marie-Jo, Feix Marc (Éds.), Le défi de la fraternité. The Challenge of fraternity. Die Herausforderung der Geschwisterlichkeit, « Theology East-West/Theologie Ost-West » 23, Lit Verlag, Münster, 2018, 640 p.

En conclusion de ce bulletin, plusieurs traits méritent d’être soulignés. On peut d’abord constater que les approches méthodologiques actuelles insistent sur la dimension herméneutique de l’expérience éthique chrétienne, et en particulier sur la formation de la conscience (Chiodi, Carlotti, O’Donovan…). Ce thème est devenu l’un des sujets majeurs de l’actualité morale en postmodernité. Dans le même sens, il faut noter l’importance accordée au processus de délibération morale et à la considération des circonstances et de l’intention du sujet pour le jugement moral en situation (Selling, Abram…). S’il est encore tôt pour évaluer l’influence des écrits du pape François sur la théologie morale (notamment dans Amoris Laetitiail est clair que la production théologique va également dans le sens d’une plus grande prise en compte de la singularité des situations, du nécessaire discernement et de la formation des sujets moraux en dialogue avec la Parole de Dieu et la Tradition. Il se peut que nous assistions à une réévaluation des équilibres entre différentes composantes de la théologie morale fondamentale. Face à l’insuffisance constatée d’une éthique uniquement déontologique et normative, la valorisation nouvelle de la dimension téléologique de la morale (la visée du bien) et de sa dimension historique et narrative va de pair avec une réhabilitation de l’éthique des vertus, dont l’étude s’approfondit par l’appel à des recherches historiques. Ce mouvement s’accompagne d’une large littérature sur la pensée de Thomas d’Aquin (Austin, Porter, Gueulette, Kim), et d’une étude renouvelée du lien entre Bible et morale par le biais des vertus (Mattison, Chan…), démarche déjà amorcée par Spohn, Keenan et
Harrington (voir les bulletins de 2013 et 2016).
Un autre trait à retenir concerne les réactions diverses au phénomène de la modernité et à la pensée philosophique contemporaine. Si certains sont très critiques des Lumières au nom d’une philosophie thomiste et de l’autorité de la tradition ecclésiale (Kim), d’autres tentent une reprise de la question de l’autonomie et de la loi naturelle par la recherche d’une raison commune à toutes les cultures (Coulange et al.). En même temps, les philosophies actuelles, notamment la phénoménologie, continuent d’interroger ou de stimuler la réflexion morale dans le sens d’une plus grande prise en compte de la passivité et du don (Vidalin avec M. Henry) ou encore l’attention à la corporéité vulnérable et le souci du monde dans la diversité des vivants (Pelluchon). La question anthropologique étant centrale dans les débats éthiques présents, on peut supposer que ce dialogue va se poursuivre. La fonction à la fois critique et fondatrice d’une vision de l’homme offerte par le christianisme permet à la fois d’interroger les anthropologies contemporaines et de s’en nourrir.
Enfin il faut noter l’effet sur la recherche théologique de la mise au contact des réalités sociales violentes et de la présence parfois dominante des autres traditions religieuses ou philosophiques dans la société. Les théologiens asiatiques en particulier (Kochuthara, Tirimanna, Alla et al.) nous alertent sur le nécessaire retour au Christ de l’Évangile, sur l’ouverture aux autres religions et à l’expérience des pauvres pour faire face aux situations humaines dramatiques. Ils nous invitent également à porter attention à la constitution sociale des sujets et des communautés. Cette manière de faire n’est pas sans lien avec le défi de la sécularisation des sociétés occidentales que les théologiens abordent avec le souci de revivifier le lien social par la visée d’un universalisme en dialogue avec d’autres conceptions du bien (Hollenbach) et par l’attention portée à la vulnérabilité ou à la recherche d’une fraternité commune (Thiel, Feix et al.). Les ressources du christianisme, parmi d’autres traditions, sont mises au service d’un renouvellement des motivations éthiques des sujets et fournissent des propositions de sens et un horizon d’espérance pour la recherche du bien commun et la nécessaire « conversion » écologique et sociale souhaitée par le pape François.

Lire le bulletin sur Cairn

 

Vous souhaitez lire l'article dans son intégralité