Éditorial (103/3)

par Christoph THEOBALD

Janvier-mars 2015 - tome 103/1

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Christianisme et Judaïsme
depuis Nostra aetate
Dossier préparatoire au Colloque
des Recherches de Science Religieuse
(Paris, 18-19 novembre 2015)

Lors de sa promulgation, le 28 octobre 1965, la Déclaration Nostra aetate fût saluée par la plupart des observateurs comme un des textes les plus novateurs du Concile. En traitant des rapports de l’Église avec toutes les religions non chrétiennes, son numéro 4, noyau initial et central du texte, inaugurait une des grandes révolutions du XXe siècle : la mutation des relations entre juifs et chrétiens. Après avoir traité en 2012 des débats herméneutiques et en 2013 de la Liturgie, et au moment où s’achève l’année du Cinquantenaire du concile Vatican II (1962-1965), il convenait que les Recherches reviennent sur ce court passage de la Déclaration, qui a véritablement fait événement. Préparatoire au Colloque des 18 et 19 novembre 2015, l’objectif de ce dossier est double : faire un bilan de la réception de Nostra aetate, 4, et examiner les questions qui se posent aujourd’hui au sein de la relation – fondamentale – entre judaïsme et christianisme. À ce titre, cette livraison s’inscrit dans le projet des Recherches de cette année (cf. notre Éditorial dans le premier numéro de 2015) : rendre compte de la « reconsidération » globale de la figure du christianisme qui s’est produite au XXe siècle, au croisement – comment en pourrait-il être autrement ! – de recherches historiques et exégétiques sans cesse renouvelées et d’une actualité qui oriente notre intérêt critique par rapport à nos origines.
Dans un premier article, Thérèse Martine Andrevon retrace l’histoire de la réception de Nostra aetate, 4, en faisant à la fois état des textes et des événements qui ont jalonné cette histoire et ont œuvré en faveur d’un changement de regard de l’Église sur les juifs. L’auteure note cependant que l’enlisement du conflit israélo-palestinien et un changement global de notre contexte risquaient d’entraîner un essoufflement du débat théologique entre juifs et chrétiens, en particulier dans la francophonie. Cette problématisation nécessite une relecture de la longue histoire des rapports entre juifs et chrétiens avec, en particulier, un retour à la question difficile de la constitution de deux communautés différentes. L’œuvre de Daniel Boyarin et le débat qu’elle a déclenché aux États-Unis et en Europe est, de ce point de vue, un excellent révélateur, à la fois des mutations au sein de la recherche historique depuis Adolf von Harnack et des questions de fond soulevées par l’exégèse biblique et la patristique. Pierluigi Lanfranchi présente la thèse de Boyarin, selon
laquelle, en ce qu’il en est des trois premiers siècles de notre ère, il faut renoncer à l’image de deux entités autonomes aux marqueurs identitaires nettement distincts. De ce fait s’impose l’idée d’un système unique de circulation à l’intérieur duquel des éléments discursifs pouvaient se déplacer d’un groupe à un autre. Selon lui, cette thèse se situe dans
notre contexte postmoderne et « post-polémique », tout en proposant quelques critiques, principalement d’ordre historique et factuel. Une telle contextualisation de nos relations, à la fois actuelle et historique, prépare le terrain pour aborder de plus délicates questions qui
émergent, cinquante ans après Nostra aetate et suite à toute une série de textes magistériels qui, certes, présentent des avancées non négligeables, mais gardent encore des traces du modèle de « substitution ». Parmi ces questions, deux sont abordées dans ce numéro et seront approfondies lors du colloque de novembre : la problématique de l’alliance, très discutée ces dernières années, et l’épineuse question de la terre d’Israël.
La première donne lieu à une « écriture dialogale » de haut niveau exégétique et théologique, assurée par Geneviève Comeau et le rabbin Rivon Krygier déjà connu de nos lecteurs (cf. RSR 93/1 [2005], 9-25). L’originalité de cet article consiste à penser, au-delà de la distinction récente entre les modèles de « l’unique alliance » et de « deux alliances », la « solidarité » et la « reconnaissance » entre juifs et chrétiens dans leur mission éthique et messianique, sans gommer les « tensions » entre ces deux « voies », liées au positionnement de chacun des partenaires par rapport à la figure du Christ Jésus. La seconde question, celle de la revendication juive de la Terre, est traitée par David Neuhaus
qui, en témoin et théologien, réfléchit au rapport que la tradition chrétienne entretient avec la « Terre sainte ». Il en souligne les ambiguïtés du passé et articule, à partir de la mission de Jésus, une manière d’entendre la revendication des Juifs et la recherche constante de la justice et de la paix en réponse aux cris des Palestiniens. On l’aura compris, c’est de l’ensemble de ces quatre articles que dépend l’équilibre de ce numéro. En effet, comme à l’époque du Concile, il est impossible d’envisager une « reconsidération » fondamentale des relations entre juifs et chrétiens en dehors du contexte actuel. Or celui-ci oblige notre conscience éthique à tenir compte en même temps de l’exigence de justice et de paix qui intervient dès que deux peuples différents occupent une même terre. Au concile Vatican II, ce paradoxe a conduit à intégrer la question des relations judéo-chrétiennes dans l’ensemble plus vaste des rapports de l’Église avec les religions non chrétiennes, y compris l’islam. On peut regretter par ailleurs que les connexions entre les deux déclarations conciliaires, celle sur les religions et celle sur la liberté religieuse, soient restées si ténues ; car ce sont les rapports différenciés, chez les uns comme chez les autres, entre la terre, le politique, voire l’État, et l’expression religieuse qui sont maintenant en débat. Et s’il est permis, après la composition de ce numéro, de formuler un regret – et de prendre rendez-vous pour une livraison ultérieure –, c’est à propos de la question christologique :
pour ce qui est de la tradition chrétienne qui détermine l’ensemble des thématiques abordées ici, elle reste encore trop en retrait. Il est en effet impossible, pour la foi chrétienne, de réduire la crucifixion du Christ Jésus à un accident de l’histoire et ne pas y voir une fracture qui ouvre un regard nouveau sur le réel, quel qu’il soit par ailleurs.
Nous ne pouvons terminer cet éditorial, sans saluer très chaleureusement le chargé d’un nouveau Bulletin, le Professeur Christian Sorrel de l’Université Lyon 2, auquel nous devons une première livraison sur l’Histoire moderne et contemporaine sous la rubrique Histoire de la théologie et des idées.

Christoph Theobald

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