L’idée de religion et de son avenir dans l’œuvre de Tocqueville

par Pierre GIBERT

janvier-mars 1995 - tome 83/1

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Tocqueville se montre préoccupé par le fait religieux dans l’ensemble de son œuvre. Il ne se contente pas d’observer le rapport de la religion au politique, il cherche ce qu’elle doit être pour s’ouvrir un avenir, et cela justifie une étude théologique de son concept de religion.
Dans la 1ère partie de la Démocratie en Amérique (1835), il souligne l’influence des croyances religieuses sur les mœurs politiques des Américains et la particulière inclination du christianisme aux institutions démocratiques. Sa pensée s’élève toutefois à la conception d’un rapport générique entre la religion et la société politique, conception qu’il développera dans la 2e partie du même ouvrage (1840), puis dans l’Ancien Régime et la Révolution (1856). Il croit remarquer une évolution continue du xvie au xviiie siècle, qui tend à établir l’égalité et la ressemblance des citoyens et à substituer le libre examen des croyances dogmatiques au principe d’autorité. Il en conclut que l’opinion commune est appelée à jouer un rôle prépondérant dans les sociétés égalitaires, et il y voit un danger pour l’avenir de la religion, si elle se referme sur son dogmatisme, mais aussi pour l’avenir des sociétés démocratiques, qui ont plus qu’aucune autre besoin de la religion. Mais il juge que la religion chrétienne est mieux armée que les autres pour relever ce défi, pourvu que les chrétiens ne s’érigent pas en adversaires de la liberté.
La religion occupe donc une place centrale dans la réflexion politique de Tocqueville, lui-même tourmenté depuis son adolescence par les questions religieuses. Son penchant croissant au doute le prédisposait à recueillir l’héritage des Lumières, mais n’a jamais entamé son espérance dans l’avenir du christianisme.

The idea of religion and its future in the work of Tocqueville

Throughout his writings, Tocqueville shows that he was preoccupied by the religious phenomenon. He not only observed the relation to politics, but he looked for what religion should be in order to open itself to the future. This justifies a theological study of his concept of religion.
In the first part of la Démocratie en Amérique (1835), he pointed out the influence of religious beliefs on the political morals of Americans and the particular inclination of Christianity to democratic institutions. His thought, nevertheless, developed towards a conception of the generic rapport between religion and political society, an idea that he develops in the second part of the same work (1840), and then in l’Ancien Régime et la Révolution (1856). He thought that he saw a continual evolution from the 16th to the 18th century, which tended to establish equality and a similarity of citizens and to substitute the free examine of dogmatic beliefs for the principle of authority. He concluded from this that common opinion is called to play a preponderant role in egalitarian societies. He saw there a danger for the future of religion, if it closed itself on its dogmatism, but also for the future of democratic societies, which would need for religion more than any other type of society. But he judged that the Christian religion was better armed than others to take up the challenge, as long as Christians did not set themselves up as adversaries of freedom.
Religion, then, occupies a central place in the political reflection of Tocqueville, who was tormented by religious questions from the time of his adolescence. His growing inclination to doubt predisposed him to welcome the heritage of the Enlightenment, but not so far as to weaken his hope in the future of Christianity.

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