Editorial 91/4 2003

par Pierre GIBERT

octobre-décembre 2003 - tome 91/4

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« Autour de Michel de Certeau »

Dans son dernier ouvrage, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, (Le Seuil, Paris, 2003), François Hartog, qui n’a jamais caché sa dette envers Michel de Certeau, a une expression caractéristique pour relever une intuition à laquelle il se réfère explicitement au seuil de cet ouvrage : « … Michel de Certeau avait rappelé d’une phrase, comme en passant, que ‘sans doute l’objectivation du passé, depuis trois siècles, avait fait du temps l’impensé d’une discipline qui ne cessait de l’utiliser comme un instrument taxinomique.’ La remarque invitait à la réflexion. Ces pages sont une manière de m’y essayer… » (p. 12 ; c’est nous qui soulignons). Et d’ajouter un peu plus loin : « Historien de l’histoire, entendue comme une forme d’histoire intellectuelle, j’ai peu à peu fait mien le constat de Michel de Certeau. Le temps est devenu à ce point l’ordinaire de l’historien qu’il l’a naturalisé ou instrumentalisé. » (p. 18). Gageons que Michel de Certeau eût été heureux de ce rappel, même s’il eût souri d’être ainsi pris pour un maître, et en quoi que ce soit.
De l’hommage qui lui est ainsi rendu plus de quinze ans après sa mort, par quelqu’un qui se définit heureusement et justement « historien de l’histoire », retenons cette « phrase, comme en passant ». Ce « comme en passant » dit beaucoup de ce qui fut l’art et la manière de Michel de Certeau, éveilleur d’idées sans doute, mais doté d’un sens particulier pour débusquer le non dit, « l’impensé », pour casser apparences et évidences afin de laisser passer non tant la vérité qui aurait été plus ou moins volontairement, plus ou moins hypocritement celée, que celui qui la cherche. « Marcheur blessé » ainsi que le désigne le titre de la biographie que lui a consacrée François Dosse, dont rend compte P. Vallin, tel il fut, même s’il ne le parut pas immédiatement à beaucoup d’entre nous à travers sa disponibilité et la chaleur de son accueil.
Grâce notamment à la biographie de Fr. Dosse, l’article d’un jeune théologien lyonnais, Patrick Royannais, nous permet de proposer un « Autour de Michel de Certeau » qui n’a nullement la prétention de refaire ni même de compléter le travail magistral de la revue dans le numéro double qu’elle lui consacra deux ans après sa mort sous le titre « Le voyage mystique » (RSR 1988 76/2-3). Il s’agit tout au plus de saisir l’occasion de quelques publications en français comme en allemand pour rappeler ce que nous devons aujourd’hui encore à une pensée et une œuvre qui ne restent pas seulement témoin d’un enthousiasme ; c’est aussi et surtout une œuvre de passion, dans tous les sens du terme. Que P. Royannais revienne sur une dimension de cette pensée et de cette œuvre, facilement négligée ou occultée, la dimension théologienne, ne peut que confirmer un peu plus ce « passant » que fut parmi nous Michel de Certeau dans ses lumières autant que dans ses questionnements.

L’article de Jean Greisch, « Les multiples sens et l’idée de vérité », est une sorte d’écho prolongé au thème du colloque de 2000 des RSR. Qu’en est-il, depuis Héraclite, du « philosopher » ? La chose pourrait sembler oiseuse dans le cadre de notre revue si, après Nietzsche, et dans un langage tout autre, un William James ne nous avait posé, en philosophie de la religion, la question des « variétés de l’expérience religieuse ». Par là même, comme dans les contributions « autour de Michel de Certeau », les RSR restent dans la droite ligne de leur projet fondamental.

Pierre GIBERT, Rédacteur en chef