Théologies politiques et eschatologie

par Christian DUQUOC

janvier-mars 1996 - tome 84/1

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Les théologies politiques et de la libération semblent de nos jours en voie d’essoufflement, et ce phénomène pose problème.
Elles s’étaient situées, en Europe, sur le terrain de la modernité, de la liberté, de la solidarité avec les victimes d’une histoire de violences ; en Amérique Latine, elles s’étaient vouées à l’émancipation socio-économique des classes populaires. La pertinence des unes et des autres ne devrait pas être mise en doute : elles prennent au sérieux la Promesse eschatologique, le souci privilégié que Jésus avait des pauvres et des opprimés, l’expression publique de la foi en toute situation socioculturelle de crise. Comment expliquer, alors, leur déclin actuel ?
Trois explications peuvent être avancées : la trop grande généralité de la « réserve eschatologique » lorsqu’elle n’est plus affrontée à quelque situation-limite, et son ambiguïté, partagée qu’elle est entre une exigence de justice (forcément violente) et une promesse de pardon (et d’oubli des injures) ; l’étroitesse du soutien populaire dont ces théologies pouvaient se réclamer (à des degrés d’ailleurs divers) ; la résistance, enfin, que leur oppose l’institution ecclésiastique. Mais la dérive mystique de ces théologies, signe de l’excès du Royaume qui vient, les préserve mieux de toute identification à une action politique comme de tout rêve de retour à une chrétienté.

Political theologies and eschatology.

Political and liberation theologies seem, these days, to be losing their élan, and this phenomenon poses a problem.
In Europe they were built on the grounds of modernity, liberty, and solidarity with the victims of a history of violence; in Latin America they were pledged to the socio-economic emancipation of the lower classes.
The relevance of each should not be doubted : they take the eschatological Promise seriously, the special concern that Jesus had for the poor and oppressed, and public expression of the faith in every sociocultural situation of crisis. How does on explain, then, their present decline ?
Three explanations can be put forth : the too broad generality of the « eschatological reserve » when it is no longer confronted with a limit-situation, and its ambiguity in so far as it is torn between a demand for Justice (necessarily violent) and a promise of pardon (while forgetting the victims) ; the narrowness of popular support that these theologies could count on (in diverse degrees) ; and finally, the resistance given by the ecclesiastical institution. But the mystical drift of these theologies, a sign of the excess of the Kingdom to come, preserves them better from any identification with political action as well as from any dream of returning to a past Christendom.

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